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1 septembre 2022

Gestion des réfugiés à géométrie variable, que disent les règlements nationaux et internationaux ?

Par Sima Ghaffarzadeh pour Pexel

La discrimination est un fléau qui touche des millions d’hommes et de femmes à travers le monde, qui se retrouvent privés de leurs droits les plus élémentaires à cause de leurs « différences ». Cette discrimination est exacerbée en temps de crise. Les étudiantes et étudiants internationaux en Ukraine en ont fait les frais. La lutte contre la discrimination est toutefois présente dans les agendas nationaux et internationaux. Nous proposons dans cet article un aperçu des réglementations.

  • En Ukraine :

Les efforts pour codifier la lutte contre la discrimination en Ukraine remontreraient à 1996 avec la promulgation de la première constitution. Sous l’œil avisé de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), le législateur n’a eu de cesse d’adapter ses textes aux recommandations formulées par la commission, qui a effectué cinq missions de contrôles  s’étalant entre 1998 et 2020, pour s’assurer de l’adéquation du cadre réglementaire aux normes internationales. Les rapports de monitoring portent notamment sur des recommandations visant le renforcement des institutions chargées de lutter contre la discrimination à l’instar du Verkhovna Rada of Ukraine (dénommé par l’ECRI Ombudsman pour les droits de l’homme) et à la sensibilisation des forces de l’ordre en termes de gestion des plaintes, des victimes et des situations pouvant présentées un terrain propice aux pratiques discriminatoires.

Il nous semble important de souligner que de telles pratiques à l’encontre des étudiantes et étudiants internationaux ne sont pas exclusives à la situation de guerre que connait le pays. L’ECRI a mentionné dans son troisième rapport datant de 2007, l’inquiétude du ministère de l’Éducation ukrainienne face à l’augmentation des cas d’attaques discriminatoires perpétrées par des jeunes appartenant à des groupes néo-fascistes et de skinheads ainsi qu’une réponse jugée limitée des autorités dans la prise des mesures nécessaires pour assurer l’efficacité des enquêtes et augmenter la confiance des victimes et les encourager à porter plainte. Bien que l’ECRI ait souligné une nette diminution de ces attaques dans son quatrième rapport en 2011, plusieurs sources datant de 2012 ont signalé de la discrimination raciale, de la xénophobie et de la violence raciale contre les minorités ethniques.

La présence de ces mouvements nationalistes parmi les groupes luttant contre la Russie pourrait expliquer en partie certaines pratiques discriminatoires qui ont lieu sur le territoire ukrainien. Toutefois, les adhérents de ces mouvements ne représenteraient qu’une minorité.

Les principaux textes composant l’arsenal juridique contre la discrimination, en vigueur à ce jour et qui ont évolué à la lumière des recommandations de l’ECRI peuvent être résumés comme suit, à notre sens :

  • L’article 24 de la constitution qui prévoit les mêmes droits et libertés à tous les citoyens et citoyennes, sans le moindre privilège et ce nonobstant leur race, couleur de peau, convictions politiques, religieuses et autre, sexe, origine sociale, statut de propriété, lieu de résidence, caractéristiques linguistiques, etc.
  • Les articles 67 et 161 alinéa 2 du Code pénal ukrainien qui reconnait, pour le premier, la discrimination comme un fait aggravant des crimes et fixant, pour le second, les peines encourues en cas d’actes discriminatoires. Ce même article a aussi aggravé les sentences si lesdits actes sont perpétrés par des représentants de la loi.
  • La loi relative aux principes de la prévention et de la répression de la discrimination entrée en vigueur le 4 octobre 2012 et amendée en 2014.

Or, là où cette loi englobe toutes les personnes présentes sur le sol ukrainien, les première et seconde sources ne considèrent que « les citoyens et citoyennes ». Ceci a d’ailleurs fait l’objet de recommandation de la part de l’ECRI et aucun changement dans les versions actuelles disponibles de la constitution ne semble être fait.

En ce qui concerne le Code pénal, celui-ci a été promulgué en 2001 et a été couvert par la même recommandation portant sur la nécessité d’inclure toutes les personnes présentes sous la juridiction de l’Ukraine, formulée par l’ECRI dans son troisième rapport. Forte des recommandations de cette commission et sur la base des recommandations de cette dernière, et notamment la recommandation N° 7, l’Ukraine a entrepris divers amendements de son code pénal pour aboutir à la version actuelle citée ci-dessus.

Or si l’on considère comme citoyen, toute personne jouissante d’un droit civique et politique tel que le droit de vote, il appert que les ressortissants étrangers ne sont pas couverts par ces réglementations. Toutefois, à notre sens, l’article 26 de la constitution a remédié à cette insuffisance en incluant sous le couvert de la loi, les étrangers et les apatrides qui séjournent de façon légale en Ukraine en leur garantissant les mêmes droits et libertés et en mettant à leur charge les mêmes responsabilités que les citoyens et citoyennes ukrainiens. Qu’en est-il, dès lors des personnes clandestines ?  N’ont-elles pas le droit de bénéficier d’un minimum de protection nonobstant leur « statut illégal » ?

Loin de donner un avis juridique précis, nous estimons que la réponse à cette question pourrait trouver ces origines dans le droit international humanitaire. Un droit qui trouve sa force dans le caractère erga omnes qui s’est développé notamment en parallèle de la mise en place des conventions de Genève et de ces protocoles additionnels. Il s’agirait d’une catégorie particulière d’obligations qui lient chaque État à la communauté internationale dans son ensemble. Il a été reconnu la première fois par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui a reconnu que le droit international humanitaire vise en priorité à protéger les êtres humains avant les intérêts des pays (Devillard, 2007). Une spécificité entrant dans un champ transfrontalier et qui à notre sens offre une protection à toute personne disposant ou pas d’un statut légal.

  • Au-delà des frontières ukrainiennes :

Les actes de discrimination à l’encontre des personnes fuyant la guerre ont continué d’avoir lieu au-delà des frontières et notamment celles ukraino-polonaises. À ce niveau, nous avons tenté de nous pencher sur les réglementations régionales et internationales afin de comprendre les mesures transnationales visant à éradiquer la discrimination.

La convention européenne des droits de l’Homme CEDH, intitulée           Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que son protocole additionnel N° 12, prohibent toutes les formes de discrimination, notamment en ce qui concerne la protection de droit à la vie et garantie l’égalité de traitement dans la jouissance de tout droit prévu par la loi. L’application de ces clauses est tributaire de la zone géographique où a lieu l’acte étant donné que parmi ces deux pays, seule l’Ukraine a signé et a ratifié la convention et est donc tenue de l’appliquer.

Plus récemment, le Conseil européen a décidé à l’unanimité le 4 mars 2022, l’adoption de la décision d’exécution instaurant une protection temporaire au vu de l’afflux massif des personnes fuyant l’Ukraine, et ce pour la première fois depuis sa mise en place. Elle permet le bénéfice, pour une période d’une année prorogeable automatiquement par périodes de six mois pour une durée maximale d’un an, pour les personnes déplacées de jouir de droit harmonisé dans toute l’Union européenne.

Toutefois, afin de bénéficier de cette protection temporaire, il faut justifier de la citoyenneté ukrainienne. Question relativement difficile notamment pour les personnes ne détenant pas de preuve d’identité à l’instar des enfants et des personnes démunies de passeport. Mais la commissaire Ylva Johansson et le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin ont expliqué qu’il y aurait une grande latitude concernant les papiers d’identité nécessaires, afin d’accélérer la mise en sécurité des populations.

Dans les circonstances habituelles, les Ukrainiens détenteurs d’un passeport biométrique bénéficient d’une exemption de Visa pour un séjour ne dépassant pas les 90 jours dans l’un des 27 États membres de l’Union, et ce en raison de l’accord d’association qui relie l’Ukraine à l’Union européenne.

Ces dispositions couvrent aussi les bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) présents en Ukraine lors de l’invasion. Toutefois, les ressortissants étrangers, exception faite de ceux disposant d’un séjour longue durée, ne sont pas couverts par cette protection temporaire et doivent être reconduits à leur pays d’origine ou éventuellement déposer une demande pour bénéficier du statut de réfugiés en suivant la procédure standard.

Internationalement, la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, applicable notamment en cas de conflit et de guerre, met à la charge des États partis, de protéger toutes personnes et de veiller à ce que les politiques migratoires ne soient pas discriminatoires.

D’un autre côté, en application de la convention de Genève, ratifiée et signée par les deux pays, les personnes fuyant la violence et la guerre en Ukraine sont considérées comme réfugiées sur cette seule base et aucun critère distinctif ne peut être invoqué dans cette classification. À cet effet, ces dispositions visant la protection des personnes réfugiées doivent être appliquées sans aucune discrimination.

Le principe de non-refoulement présente l’une des protections instaurées par la Convention et qui interdisent aux États l’expulsion et le refoulement d’une personne réfugiée vers un pays où elle se retrouve menacée. Refuser l’accès à ces personnes est de ce fait contraire aux réglementations internationales qui s’appliquent à tout emplacement où l’État exerce son autorité, y compris au niveau des postes frontaliers.

Conclusion

Si la discrimination est prohibée dans la majorité des cadres réglementaires nationaux, elle revêt un caractère transnational lorsqu’elle est vécue par des personnes réfugiées. Il semblerait dès lors que ce nouveau caractère aurait tendance à compliquer la lutte contre les actes discriminatoires et à favoriser une gestion à géométrie variable des personnes réfugiées en fonction de critères tels que les origines et les races. À notre sens, les débats portant sur la primauté du droit et sur la force juridique du droit international risqueraient de limiter l’application des réglementations et de ce fait favoriser les pratiques discriminatoires. En effet, il n’est pas évident de trouver une réponse unanime à la question de savoir si le droit international prime, ou pas, sur le droit national. Une question difficile où se croisent différentes cultures et modèles juridiques, souveraineté de l’état…

D’un autre côté, l’adhésion aux obligations internationales demeure tributaire de la décision des États à signer et ratifier les conventions internationales, tout en disposant de la faculté d’émettre des réserves concernant certains des points qu’elles pourraient soulever. Une approche qui demeure volontaire et ce nonobstant les bénéfices majeurs qui en découleraient (appartenance communautaire, réciprocité…).

Aussi, l’absence de mécanismes de sanctions concrets affaiblit considérablement la force juridique de ces instruments de droit international. À titre d’exemple le comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui surveille l’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale par les États partis mets à leur charge de présenter des rapports sur les mesures adoptées concernant les droits décrits dans la convention et les progrès réalisés pour les respecter. Toutefois, selon le dernier rapport du comité, beaucoup de retard est enregistré dans la communication des documents nécessaires. Un retard qui dépasse pour certains pays les 10 ans. Cette faiblesse des contrôles, notamment en absence de mesures de sanctions pour non-envoi des rapports, autre qu’une note verbale, affaiblit encore plus la force juridique de ces instruments.

Cette faiblesse, cumulée avec les conflits qui éclatent un peu partout dans le monde ainsi que certains discours de l’élite politique, est d’origine à propager encore plus les actes discriminatoires et à les banaliser creusant ainsi encore plus le fossé des inégalités entre les êtres humains.

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