Texte rédigé par Sara Germain, responsable des communications, réseaux sociaux de l’IEIM et étudiante à la maîtrise en communication à l’UQAM, publié par le Blogue Un seul monde.
C’est dans des circonstances très peu favorables que se sont déroulées les premières négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine. Nonobstant le rôle partial du Bélarus en tant que médiateur, force est de constater que les femmes brillaient par leur absence. Sur les photos qui nous sont parvenues suite à ces deux premiers échanges, on ne peut s’empêcher de remarquer que les onze personnes assises à la table des pourparlers sont toutes des hommes. Alors que les recherches montrent que la présence de femmes dans les entreprises de la paix mène à de meilleurs taux de succès, ces dernières sont toujours en marge lorsque des négociations ont lieu. Selon des statistiques de l’ONU, en 2020 près de sept processus de paix sur dix n’incluaient pas de femmes, et ce, en dépit de la résolution 1325 du Conseil de sécurité, prise en 2000, qui réaffirme l’importance de leur action dans le maintien de la paix.
L’absence de femmes du côté russe n’est pas surprenante si on considère l’importance accordée au masculin et à l’image de l’homme fort dans le discours officiel du Kremlin au cours des vingt dernières années. En effet, plusieurs chercheuses et chercheurs, dont Riabov et Riabova, Novistkaya et Wood, ont soulevé la dimension genrée du discours de Vladimir Poutine qui a largement misé sur le sentiment nationaliste pour légitimer son maintien au pouvoir, notamment sur l’usage de politiques identitaires promouvant une image masculine de la Russie. Au-delà de la revalorisation de l’identité masculine en tant que pourvoyeur de la famille, la masculinité a aussi été fortement associée à la fierté nationale alors que la féminité avait été largement attribuée à la faiblesse de l’État pendant la période de la perestroïka. Cette hégémonie masculine, comprise comme une domination du masculin sur les normes de genre au sein d’une société, est donc devenue le trait déterminant dans la légitimation des politiques nationales et l’instauration d’une tendance patriarcale en Russie. Par conséquent, si l’invasion de l’Ukraine est en adéquation avec une telle masculinisation du discours, il n’est pas surprenant que les négociations illustrent aussi cette rhétorique. Mais qu’en est-il de l’Ukraine ? Où sont les Ukrainiennes ?
La place des femmes en Ukraine
Suite à l’effondrement de l’Union soviétique, l’Ukraine a rapidement légiféré pour établir un cadre de protection des droits des femmes. Cependant, malgré ces lois qui pourraient être considérées progressives pour la région, les femmes sont demeurées sous-représentées sur le plan politique. En date des dernières élections de 2020, seuls 21 % des membres de la Rada, le parlement ukrainien, sont des femmes. Ces chiffres se situent en dessous de la moyenne mondiale de 25 % et largement en deçà de la parité ultimement visée.
Le Canada maintient des liens de solidarité internationale avec l’Ukraine depuis des décennies, mais plus récemment, avec la mise en place de sa Politique d’aide internationale féministe, les actions se sont davantage concentrées sur l’égalité des genres et une plus grande représentation des femmes dans les sphères décisionnelles ukrainiennes. En effet, depuis plusieurs années, le Canada soutient une variété d’initiatives en Ukraine visant la gouvernance inclusive, mais aussi le leadership, l’autonomisation et la croissance économique au profit des femmes. Depuis 2018, ce sont plus de 10 millions de dollars que le pays a investis dans différents programmes locaux, mais qui s’inscrivent dans les orientations stratégiques canadiennes propres au programme sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Si ces actions de solidarité sont louables, l’absence de femmes dans les processus de négociation de la paix entre la Russie et l’Ukraine démontre leur insuffisance face à un discours étatique qui maintient des systèmes patriarcaux au sein de la société ukrainienne.
À l’écart des combats ?
Même si les femmes peuvent faire partie de l’armée ukrainienne depuis 2014, elles ne représentent que 15 % des forces armées du pays. Par ailleurs, dans son allocution, le président Zelensky a exhorté tous les hommes ukrainiens à défendre leur pays soulignant que des armes seraient fournies à tous ceux qui se présenteraient. Cet appel a été accompagné d’un décret interdisant aux hommes âgés entre 16 et 60 ans de quitter le pays. Les femmes n’ont pas été appelées à prendre les armes dans ce conflit. Certaines les ont tout de même prises, mais la grande majorité des personnes composant la résistance armée.de l’Ukraine demeure des hommes, comme en témoigne le nombre massif de femmes qui ont quitté l’Ukraine seules ou avec leurs enfants, augmentant de fait leur risque d’être victime de violences sexuelles et d’exploitations. Cette réalité met aussi en lumière ce conflit sous une perspective de genre.
Impliquées malgré elles
Si les femmes n’ont apparemment pas voix au chapitre pour le règlement de ce conflit, elles seront tout de même parmi les plus touchées par cette guerre. Des années d’études sur les conflits démontrent que les femmes en sont toujours les plus affectées sur les plans des violences physiques basées sur le genre, mais également dans l’exacerbation des inégalités économiques liées à la hausse du coût de la vie et des déplacements forcés. Dans le cas de l’Ukraine, cela s’ajoute à une série d’inégalités structurelles, basées sur des systèmes patriarcaux, et qui ont déjà été aggravées par la pandémie de la COVID-19 et le conflit civil qui dure maintenant depuis plus de 8 ans dans l’Est du pays, plus précisément dans la région du Donbass qui est actuellement sous l’occupation russe.
Dans cette guerre, les femmes ont été mises de côté. On ne les a pas invitées à défendre le pays. Elles n’ont pas été armées. Elles n’ont pas été formées à la défense. Mais surtout, elles n’ont pas été consultées dans les négociations de paix. Avec la poursuite des pourparlers qui s’annonce, cette situation doit changer. Les femmes ukrainiennes doivent prendre leur place dans ce conflit qui les touche directement. Sachant que l’inclusion des femmes dans les accords de paix augmente significativement les chances d’une paix plus durable, leur rôle dans la désescalade des tensions dans les relations hautement contentieuses entre l’Ukraine et la Russie est primordial. Cette participation sera tout aussi déterminante pour la suite des choses et pour la reconstruction d’une société plus inclusive.